La Cave du Prieuré

Millésime 2021 : splendeurs et misères de la vigne (humoristique)

Revivez le millésime 2021 si particulier pour le vignoble de Jongieux à travers un témoignage rare et unique : celui d’un cep de vigne planté dans le coteau de Marestel. Voici ses paroles :

 

‘’ L’occasion de m’exprimer gustativement sur ce millésime 2021 sera exceptionnelle. Comprenez que les bouteilles de Marestel 2021 seront rares mais pourtant bien présentes dans les caveaux des hommes qui me travaillent ou sur les tables de quelques restaurateurs privilégiés.

A l’oreille des femmes et des hommes qui m’ont planté et vu grandir, je leur confie mon histoire comme un témoignage : celle de ma vie lors de cette incroyable et historique année 2021.

Ne croyez pas que mon histoire est personnelle. Du bout de mes racines à la pointe de mes feuilles, j’ai pu constater le même cycle de vie chez mes voisins de parcelle.

Tout commence au mois de mars 2021. Les premières belles journées de l’année font leur apparition. Leurs températures très douces pour la saison me donnent les informations temporelles et climatiques nécessaires à mon réveil hivernal. Comme tous les ans, après l’hiver, je me réveille progressivement et constate que, cette année encore, j’ai une nouvelle coupe. Il m’a bien semblé pendant mon long sommeil hivernal entendre quelques bruits de pas et de sécateurs mais je n’ai pas été dérangé plus que cela et je n’ai rien senti… me voilà donc prêt pour une nouvelle année.

Autour du 20 mars, je décide de montrer mes premières pointes vertes (photo 1). Rien ne sert de courir, cela serait d’ailleurs difficile, vous comprenez, mais tâchons de pousser doucement. Je remarque d’ailleurs que, depuis quelques années, les hivers me paraissent moins longs. La première semaine d’avril est tellement belle qu’il m’est difficile de ne pas vouloir grandir. Avec fierté je peux montrer le 5 et 6 avril « 3 feuilles étalées » et des bourgeons d’une dizaine de centimètres. Dans les yeux des vignerons, je comprends que ce stade est important pour eux, symbolique, un repère temporel.

Le 8 avril au matin le réveil est douloureux. Je n’ai jamais ressenti de telles sensations. Je ne peux plus bouger, ma sève est figée et mes feuilles ont perdu leur éclat verdoyant mais arborent une couleur saumâtre (photo 2). Je suis comme brûlé. Le va et vient inhabituel des vignerons dans le vignoble et le désespoir qui s’exprime dans leurs yeux me font prendre conscience de la situation : la nuit a été glaciale, je viens d'être d’entièrement gelé (photo 3). Depuis ma plantation, je n’ai jamais connu une telle sensation. Je connais les orages, violents comme celui de juillet 1995 et la grêle aussi. En revanche un gel si puissant est une première. Les jours et les semaines suivantes sont faites de souffrances et de questions : comment repartir, comment renaitre ou comment tenter de développer des raisins ??…

Entre le 20 et 25 avril, les réponses à mes questions se précisent. Je grandirai à partir de mes bourgeons de réserve. Disséminés aléatoirement sur mon écorce, ces bourgeons feront l’affaire. Je ne serai pas bien esthétique mais je n’ai pas le choix. Pour ce qui est des raisins, il faudra que je fasse l’impasse cette année. Je préfère penser à l’avenir et aux futures années : ma seule priorité sera d’avoir des bois pour ma coupe de l’année prochaine et suffisamment de réserve pour me développer. Me voilà fixé, je repousse (photo 4 et 5).

Dimanche 2 mai. Alors que je suis en pleine sieste dominicale, à 17h, le temps devient sombre et je me retrouve assailli de cailloux uniformes, gelés, de couleur blanche et venant tout droit du ciel. Pendant trois minutes, mes rameaux et mes oreilles sont attaqués physiquement et oralement. Me voilà dans un sale état (photo 6). Mes petites feuilles, que j’ai si difficilement fait pousser depuis 10 jours, sont perforées et déchirées. Le sol est blanc comme je peux me l’imaginer lorsque la neige tombe et que je dors à points fermés lors des longs mois d’hiver (photo 7). Décidément, ce début de millésime 2021 n’est pas de tout repos.

Début juin, je ressemble plus à un buisson qu’à un cep de vigne digne de ce nom (photo 8). Chose inédite, nous n’avons mes camarades et moi pas encore vu les équipes passer dans nos rangs pour nous prodiguer les soins habituels de leurs gestes précis. Je ne m’affole pas et prend mon mal en patience. Du coin de l’œil, en balayant mon regard allant du coteau des Altesses à Lucey jusqu’à la chapelle St Romain je comprends que l’entier vignoble est impacté et que la saison sera compliquée.

Le 13 juin est un demi-jour de fête. Une équipe de huit vignerons arrive dans notre parcelle. Armée de ficelles et d’attaches voilà que la petite troupe commence à maintenir et diriger vers le ciel mes bourgeons devenus rameaux. Leur passage signifie que j’ai bel et bien grandi (photo 9). Je n’ai pas entendu la joie et leur rigolades habituelles. Leur regard divague cherchant désespérément un futur raisin qui, je suis sûr, leur redonnerai le moral. Hélas, autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

20 juin. Le temps est presque frais pour le plus long jour de l’année. Je n’aime pas ce temps et je crains le pire. En fin d’après-midi un rideau opaque dans le ciel éclairé sporadiquement de traits furtifs jaunes suivi de grondements fonce sur nous. Inévitablement, tel un rouleau compresseur, l’orage pressenti s’abat sur Jongieux accompagné de redoutables et tant redoutés grêlons. Encore plus violent que l’orage du mois de mai, la douleur morale et physique une nouvelle fois subie est indescriptible. Mes rameaux soigneusement relevés la semaine précédente se retrouvent pour certains d’entre eux cassés et pour la plupart couchés sur le sol, sol qui se dérobe au-dessus de mes racines (photo 10). Cette couverture si nourricière pour moi que l’on appelle « sol » a été tiré vers le bas pendant l’orage. Ce troisième coup dur de l’année me laissera des cicatrices.

Le 5 juillet, l’équipe revient nous rendre visite pour la deuxième fois de l’année. Nous voilà de nouveau attachés et je l’espère cette fois-ci pour de bon et jusqu’à la fin de la saison.

Au cours de l’été, une sensation désagréable m’envahit. Une algue microscopique appelée Mildiou m’attaque et ronge mes parties végétatives (photo 11). Malgré une protection spécialisée que me prodiguent les viticulteurs, je n’arrive pas à me défaire de ce parasite qui me gène dans mon développement. Heureusement, à partir du 15 août les pluies cessent et le mildiou arrête de me grignoter.

Le mois de septembre 2021 restera également dans ma mémoire. Ce mois si euphorique, si animé dans tout Jongieux et Marestel reste anormalement calme. Aucun vendangeur ne viendra visiter nos rangs, explorer notre feuillage à la recherche de raisins (photo 12). Je les comprends, ils n’ont aucune raison de venir, nous sommes tous dépourvus de fruits. Sur la partie basse du côteau et dans quelques parcelles, il me semble voir quelques cohortes de coupeurs armés de leurs sceaux et vendangettes récoltant peut-être des survivants de l’attaque gélive d’avril.

 

Au crépuscule, où se termine une saison dramatiquement historique, je me laisse à espérer des jours meilleurs. Avant de partir me reposer pour quelques mois dans mon sommeil hivernal je vous laisse ce message :

« Chers vignerons, je vous donne rendez-vous l’année prochaine où nous recommencerons cet échange ancestral entre votre travail et mes raisins qui font de ce terroir unique sa réputation depuis plusieurs siècles. D’ici 2022, reposons-nous d’une année harassante et éprouvante. » ‘’   

Photos :